CHAPITRE V

 

 

 

Après trois jours de chevauchée, Karal commença à se faire à ce train infernal. Il s’habituait également à Rubrik – et inversement. L’homme en blanc se détendit un peu et commença à s’adresser directement au jeune Karsite.

A cette occasion, Karal dut réviser à la hausse son opinion de leur guide. Rubrik était bien plus instruit qu’il ne l’avait pensé. Parlant quatre langues en plus de la sienne, il connaissait la géographie, la population et l’économie des terres qu’ils traversaient comme s’il en était le propriétaire.

Tout cela éveilla la curiosité de Karal. Qui était cet homme pour savoir autant de choses ? Car il n’avait certainement pas mémorisé tout ça pour les impressionner ou les occuper pendant le voyage.

Ils quittèrent la maison du commandant de la Garde, resplendissants dans leurs vêtements de voyage lavés par les serviteurs de leur hôtesse. Le ciel était gris et menaçant, mais il ne plut pas avant la fin de l’après-midi, où les nuages s’amoncelèrent. Les articulations d’Ulrich le faisant souffrir, ils s’arrêtèrent tôt, pour changer – deux heures au moins avant le coucher du soleil.

Ils descendirent dans une nouvelle auberge. Le bâtiment entourait sur trois côtés une cour carrée, le quatrième étant occupé par l’écurie.

On accédait à la salle commune par une porte placée au milieu de l’écurie, un arrangement qui faisait office de coupe-vent.

Ulrich mit pied à terre avec un petit grognement de douleur. Alarmé, Rubrik lui proposa les services du guérisseur local.

— C’est inutile, à moins qu’il ne puisse me donner le corps d’un homme de trente ans mon cadet, répondit le prêtre avec l’ombre d’un sourire. Tout ça est dû à mon grand âge. Je vais me coucher avec une brique chaude… Si nous avons de la chance, il ne pleuvra pas et nous pourrons continuer.

Mais alors que Karal finissait d’installer son mentor, il commença à bruiner.

La salle de l’auberge était pratiquement déserte. Le mauvais temps avait sûrement dû convaincre les gens de rester chez eux. Un bon feu ronflait dans l’âtre…

Un endroit plutôt agréable, avec ses poutres et ses boiseries noircies par la suie. Les tables et les chaises en bois satiné avaient été disposées en demi-cercle autour de la cheminée.

Alors que la bruine cédait la place à une pluie d’orage, Karal s’assit près d’une fenêtre et regarda les éclairs zébrer le ciel.

— Impressionnant, hein ?

Le regard de Rubrik croisa le sien dans la vitre. Quand l’homme sourit, Karal l’imita timidement.

— Vous préférez que je vous laisse à vos méditations ? demanda poliment Rubrik.

— Non. Vous pouvez vous joindre à moi, si vous voulez. J’ai toujours été fasciné par les orages. Quand j’étais petit, dans une auberge très semblable à celle-là, je me cachais dans le grenier à foin pour les regarder passer.

— Laissez-moi deviner… Pour aller à l’écurie, vous prétendiez vouloir rassurer les chevaux. (Rubrik s’assit en face du jeune homme.) Mon père n’a jamais cru à ce mensonge, mais son maître d’écurie me soutenait. Il disait que j’étais doué pour calmer les bêtes et les empêcher de se blesser…

Karal s’avisa que l’homme venait enfin de lui révéler quelque chose sur son passé.

Rubrik n’était pas très bavard quand il s’agissait de lui.

Le maître d’écurie de son père. Il vient donc d’une famille aisée, sinon noble. Son père n’était pas un simple fermier comme il nous l’a laissé croire.

— Mon père à moi n’y voyait pas d’inconvénient. Quand il pleut, les employés d’une auberge ont peu de travail. Les gens préfèrent rester chez eux, au coin de leur feu, à boire leur bière. Une fois les rares voyageurs au chaud à l’intérieur et leurs montures bouchonnées, les garçons d’écurie n’avaient plus rien à faire.

Voilà. Si Rubrik devait s’offenser d’avoir adressé la parole à quelqu’un d’aussi basse extraction…

— Probablement les seuls moments où vous étiez en paix. J’ai souvent eu de la peine pour les employés des auberges, les jours de beau temps. Ils n’ont jamais de vacances et ça ne me semble pas très juste. Pendant que tout le monde s’amuse, ils doivent travailler plus pour satisfaire la clientèle. Je parie que regarder passer les orages était pour vous comme de petites vacances. Karal sourit.

— Ce n’était pas si terrible, vous savez, à condition d’aimer les chevaux. Mon père ne me facilitait pas plus la tâche qu’aux autres garçons, mais c’était un maître juste. (Il croisa les mains et regarda par la fenêtre.) Et comme les prêtres du Soleil m’ont emmené quand j’avais neuf ans, je n’ai jamais eu à faire les plus durs travaux.

Rubrik observa longuement Karal, puis tourna la tête et regarda dehors.

Le novice sentit que l’homme brûlait de lui poser une question, mais qu’il ne voulait pas se montrer indiscret.

Sans doute quelque chose qui concerne Karse et les prêtres du Soleil. Aucun problème. Ulrich m’a déjà informé de ce que je n’ai pas le droit de dire. Donc, je n’ai aucune raison d’éviter ses questions. Cela dit, Rubrik cherchait un prétexte pour me parler seul à seul, pensant que je serais plus vulnérable que mon maître.

Karal se raidit. Il allait devoir rester sur ses gardes.

Rubrik toussota poliment.

— Je… hum… suppose que vous savez que bien des histoires courent sur les prêtres du Soleil et leurs raisons d’enlever des enfants. Elles sont sans doute aussi ridicules les unes que les autres…

— Elles ne peuvent pas être pires que la vérité, soupira Karal.

Rubrik hocha la tête et patienta. Karal lui raconta son enfance. Il lui révéla comment il avait été arraché à sa famille, décrivit l’éducation qu’il avait reçue, et insista sur la chance qu’il avait eue en devenant le protégé d’Ulrich. Il n’omit aucun détail, pas même les Feux. Voyant l’expression de Rubrik, il comprit qu’il en avait déjà entendu parler.

— Les enfants sélectionnés sont intelligents ou ils ont reçu du dieu le don de la magie. Ulrich m’a dit un jour que je remplissais ces deux critères, bien que ma magie ne soit pas active. Il affirme que je suis un « canal », mais j’ignore ce que ça signifie. J’étais terrifié à l’idée de développer des pouvoirs de sorcier et d’être remarqué par un Robe Noire, comme mes oncles, qui ont été brûlés vifs. Mais ça n’est jamais arrivé… En un sens, j’ai pourtant été remarqué par un Robe Noire.

Rubrik attendit qu’il continue. Par pure malice, Karal ne répondit pas à sa question muette. Ce fut l’homme qui céda le premier.

— Que voulez-vous dire ?

Karal sourit. Sa réponse ne manquerait pas de surprendre leur compagnon.

— Ulrich était un Robe Noire – autrement dit un Invocateur de Démons – avant que Sa Sainteté Solaris ne change tout. Aujourd’hui, bien sûr, il n’y a plus de Feux. La cérémonie de Purification est redevenue ce qu’elle était. Ulrich et moi avons retrouvé le Rite d’origine dans un ancien Livre des Litanies.

Cette fois, il n’attendit pas que Rubrik le questionne.

— Avant d’être détourné, il s’agissait simplement d’un Rite de Passage. Les jeunes sur le point de devenir adultes apportaient un objet symbolisant leur enfance, qu’ils jetaient dans le feu, montrant ainsi qu’ils étaient prêts à assumer des responsabilités. Ulrich affirme qu’il est facile de modifier les rites, parce qu’ils sont subjectifs. La fête des moissons et les rites de fertilités vont redevenir tels qu’ils étaient dans l’ancien temps. Rubrik écoutait avec un air pensif.

— Solaris a modifié beaucoup de choses, je crois ?

— Sa Sainteté a surtout annulé les changements apportés par les prêtres corrompus, dont le but était de s’approprier le pouvoir.

Il ignorait pourquoi c’était important, mais il voulait que ce soir bien clair. Solaris n’était pas une illuminée. Elle avait entrepris un travail de restauration, pas une révolution.

— Ulrich ignore pendant combien de temps nous avons été dans l’erreur, mais sans doute pendant des siècles… Les vrais miracles ayant disparu, l’illusion les remplaça. Les pouvoirs magiques conférés par dieu, qui auraient dû servir à assurer le bien-être du peuple de Vkandis et Sa gloire, furent détournés par les prêtres à des fins personnelles.

« Or, Vkandis est bien réel. Pas comme les dieux imaginaires que vénèrent certains peuples. Rubrik sourit, mais sans aucune ironie.

— Je sais…

Bizarrement, Karal crut qu’il était sincère.

— D’après Ulrich, nous apprendrons quand tout ça a commencé le jour où nous découvrirons la date de la création de l’Ordre des Robes Noires. Ils étaient le cœur et l’âme de la corruption.

La foudre tomba sur un arbre, pas très loin de l’auberge. Karal tressaillit, mais n’en apprécia pas moins le frisson qui courut le long de son échine.

Je suis content d’être au chaud ici, pas à la merci des éléments…

— Je croyais avoir compris qu’Ulrich était un Robe Noire, dit Rubrik. De fait, vos robes sont toujours noires.

— Il l’était, confirma Karal. D’après les Ecrits et les Règles de l’époque, son devoir était d’invoquer les démons, selon les ordres du Fils du Soleil, et de les envoyer contre les ennemis de Karse. Il n’y prenait aucun plaisir. Et il s’attirait souvent les foudres des autres prêtres en refusant de simuler un miracle.

Le jeune homme tourna la tête pour croiser le regard de son interlocuteur.

— Il m’a montré tous les tours qu’il connaît, histoire que je ne me laisse pas abuser. (Il vit les yeux de Rubrik s’arrondir.) Ça lui aurait valu de périr sur le bûcher, si je l’avais trahi. Certains trucs étaient si grossiers que les gens auraient dû s’en apercevoir… Mais je suppose que la foi faisait le reste.

Karal se tourna de nouveau vers l’extérieur. Rubrik ignorait encore beaucoup de choses au sujet d’Ulrich, mais il préférait que ce soit son maître qui lui en parle.

D’ailleurs, comment pourrais-je lui raconter toutes les fois où Ulrich est rentré troublé, le cœur lourd, parce que l’expression « ennemis de Karse » finissait par définir tous les autres peuples ? Non, c’est à mon maître de dire ça ! Pas question que ce Valdemarien croie que j’ai l’habitude de répéter les confidences qu’il m’a faites.

— Vous avez dit que Solaris voulait changer tout ça, fit Rubrik après un long silence. C’est pour ça qu’elle a pris la tête du culte de Vkandis ?

Karal eut un petit sourire. C’était la partie de l’histoire qu’il aimait le plus.

— C’est pour ça qu’elle est devenue le Fils du Soleil. Un miracle… Un vrai miracle ! J’étais là. Ulrich aussi, et il s’y connaît en faux miracles. Il n’existe aucune illusion, pas un tour qu’il serait incapable de détecter…

La Cérémonie du Rallumage du Feu au Solstice d’Hiver avait été étrange du début à la fin. Ce jour-là, tous les feux de Karse étaient rallumés en utilisant ceux qui brûlaient sur les autels de Vkandis. Il aurait dû faire froid…

— La plus étrange Fête du Solstice d’Hiver à laquelle j’ai assisté, dit le jeune homme. Il faisait chaud et sec. Assez pour que les prêtres aient revêtu leurs robes d’été. Au-dessus de la ville, il n’y avait pas un nuage, alors qu’ils s’amoncelaient sur le reste du pays. Ulrich et moi marchions en tête de la Procession. Solaris était tout près de mon maître.

Karal ferma les yeux un moment, pour revoir la scène et trouver les mots qui la décriraient le mieux.

— Nous, les prêtres et les novices, entourions le Grand Autel. Le rayon de soleil que nous appelons la Lance de l’Espoir passait à travers l’Œil, au plafond, et avançait lentement vers le bois odorant et l’encens posés sur l’autel. La statue en or de Vkandis, coiffée de la Couronne de la Prophétie, brillait comme le soleil lui-même. Lastern – le faux Fils du Soleil – était debout à côté, prêt à utiliser la magie pour enflammer le bois, si le soleil ne le faisait pas très vite.

— Je suppose que c’était une pratique courante ? demanda Rubrik.

Karal lâcha un grognement dédaigneux.

— Je n’ai jamais vu le Faux Fils faire un authentique miracle. D’ailleurs, ses pouvoirs magiques étaient si limités que tout ce qu’il réussissait, c’était d’enflammer du bois très sec arrosé d’huile. Mais ce jour-là, il n’a pas eu le temps de le faire.

Il se tourna vers Rubrik et baissa la voix, comme un conteur chevronné.

— Imaginez ça… les croyants était dans le Temple, et le Faux Fils du Soleil se tenait derrière l’Autel comme une grosse araignée noire. La Procession arriva au moment où le rayon de soleil tombait sur le bois. Solaris n’était qu’à cinq pas, mais elle ne voyait pas Lastern. Elle n’avait d’yeux que pour la lumière…

« La plupart des prêtres importants étaient là. Ils mouraient d’ennui, bien que ce soit le plus sacré de tous les Jours Saints de Vkandis. Ils étaient impatients de rentrer au Cloître pour festoyer…

Les prêtres de rangs inférieurs évitaient de participer au festin, car les favoris du Fils du Soleil en profitaient pour écraser les autres. Ulrich se faisant une autre idée de la manière de passer un Jour Saint, il se retirait généralement pour lire.

— Le rayon de soleil recouvrit lentement l’Autel pendant que le Chœur des Enfants chantait. J’ai vu se lever la main du Faux Fils. Il se préparait à allumer le feu. Mais alors que la Lance de l’Espoir allait toucher le bois sec…

Fort à propos, un éclair déchira le ciel. Les faisant sursauter, il fut suivi par un roulement de tonnerre retentissant.

Karal dut attendre que ses oreilles cessent de tinter. Heureusement qu’il n’était pas tourné vers la fenêtre, ou il aurait été aveuglé !

Rubrik eut un petit rire nerveux.

— La prochaine fois que vous voudrez donner plus d’impact à votre histoire, faites-le-moi savoir.

— Je ne suis pas responsable, répondit Karal. Peut-être devriez-vous demander à Vkandis s’il a décidé d’étendre son influence sur Valdemar. Parce que c’est exactement ce qui s’est passé… Tombé du ciel sans nuage, un éclair a traversé l’Œil et a fait disparaître le Faux Fils du Soleil.

Rubrik eut l’air sceptique, comme s’il le soupçonnait de vouloir rendre son histoire plus intéressante. Mais Karal secoua la tête.

— C’est la vérité, je vous assure ! J’étais là et Ulrich aussi. Il confirmera ce que je vous dis. Il n’est rien resté de Lastern, à part ses robes et ses bottes. Je n’avais jamais rien vu de semblable. Et ce n’était que le premier miracle !

— Que s’est-il passé ensuite ? demanda Rubrik.

S’il n’était pas entièrement convaincu, il pensait à l’évidence que Karal racontait la vérité telle qu’il l’avait perçue.

— Quand nous vîmes de nouveau, nous constatâmes que toutes les colonnes du temple avaient été retournées – comme elles portent des inscriptions, c’était facile à voir. Mais nous ignorions que les nuages avaient disparu du ciel de Karse, et que les feux des Autels s’étaient embrasés tout seuls. Ils brûlèrent pendant une semaine, sans qu’on ait besoin d’ajouter du bois.

Il ne mentionna pas les « petits » miracles. Les enfants qui devaient être brûlés vifs avaient disparu. Plus tard, on les avait retrouvés dans leur famille. Les bâtons de certains prêtres s’étaient désagrégés, d’autres s’étant couverts de feuilles et de fleurs.

Et tous ceux qui sont tombés en poussière appartenaient à la clique du Faux Fils du Soleil – les Robes Noires qui prenaient plaisir aux Feux.

Karal tenait le bâton d’Ulrich, qui s’était couvert de tant de feuilles et de petites fleurs rouges qu’on ne voyait plus le bois. Une semaine plus tard, Ulrich et les autres prêtres dont les bâtons avaient fleuri les avaient plantés dans les jardins du Temple, en souvenir du jour des miracles.

— Mais rien de tout ça n’aurait pu faire de Solaris le Fils du Soleil. Aucune femme n’avait jamais reçu ce titre et personne n’aurait eu l’idée de le lui donner. Si rien d’autre ne s’était produit, les prêtres auraient élu un nouveau Fils du Soleil. Peut-être un homme un peu plus pieux que le précédent, mais…

— Tout se serait déroulé comme d’habitude, acheva Rubrik avec une certaine ironie, montrant qu’il avait compris la situation. Bon, mais que s’est-il passé ?

— Il y eut un autre miracle. Le dernier et le plus grand de tous. Le silence régnait dans le Temple, car les adorateurs étaient encore trop abasourdis pour parler ou remuer. Soudain, la statue en or de Vkandis se mit à bouger…

Karal ferma les yeux pour mieux se remémorer la scène.

— Ses mouvements n’étaient pas saccadés, mais fluides comme ceux d’un homme, quand il descendit de la niche, derrière l’Autel. Cela m’a convaincu qu’il ne s’agissait pas d’un automate qu’on aurait substitué à la statue. Je me souviens d’avoir pensé, en le regardant, combien il ressemblait à un homme. Ses muscles roulaient sous sa peau…

« Il enjamba l’Autel pour venir se camper devant Solaris, toujours extatique, même si la plupart des autres prêtres s’étaient mis à marmonner la litanie de leurs péchés.

Un moment plutôt drôle. Karal n’avait pas pensé une seule seconde à avoir peur. Comme Solaris et Ulrich, quelques autres prêtres regardaient la manifestation, l’air béat. Le visage de la statue exprimait toujours une absolue sérénité… mais il y avait de l’amusement dans son regard, comme si Vkandis partageait l’amusement de Karal.

— La statue retira la Couronne de son front. Le bijou commença aussitôt à rapetisser, jusqu’à ce qu’il puisse convenir à un être humain. Alors, Vkandis se pencha et le posa sur la tête de Solaris.

Les yeux de la statue et de Solaris s’étaient croisés. Quelque chose s’était passé entre eux ! Karal l’aurait juré, même s’il ignorait quoi. Et d’ailleurs, c’était très bien ainsi.

Je ne suis pas prêt à être l’objet de l’attention de Vkandis. Je me contenterai de rester auprès d’Ulrich pour l’aider à retrouver les Anciens Rites, sans que le dieu s’intéresse jamais à moi.

— Puis le dieu retourna sur son piédestal, derrière l’Autel. Le feu s’embrasa si soudainement, et brûla si haut, que tout le monde crut qu’il y avait eu un autre éclair. Quand les flammes moururent, et que nous pûmes de nouveau voir la niche, la statue avait repris sa place habituelle. Mais elle n’avait plus sa Couronne, à présent sur la tête de Solaris.

— Vous êtes sûr que ce n’était pas une illusion ?

— Absolument ! Ça n’était pas une illusion, sinon, comment Solaris aurait-elle eu la Couronne ? Ce n’était pas non plus un automate, car aucun n’aurait pu se déplacer ainsi. Et s’il s’était agi de magie humaine, Ulrich l’aurait su. En plus de pouvoir invoquer les démons, c’est le mage le plus puissant de notre Ordre. Personne n’a jamais vu Solaris pratiquer la magie, sinon pour remplir ses fonctions de Robe Noire. Et d’ailleurs, selon Ulrich, aucun mage n’aurait pu faire jaillir un éclair aussi énorme, animer la statue, embraser le bois sec et tenir encore debout après de telles prouesses. Et admettons que Solaris ait bénéficié de l’aide de plusieurs complices, comment aurait-elle pu s’approprier la Couronne et l’adapter à sa taille ? Ce n’est pas un simple bijou. Elle faisait partie intégrante de la statue, pour décourager les voleurs.

— Hum…

Rubrik regardait la pluie, qui tombait à verse. Karal l’observa attentivement, essayant de deviner ce qu’il pensait.

— Eh bien, fit-il d’une voix traînante, je vous aurais volontiers dit que je ne crois pas aux miracles, si je n’en avais pas vu un ou deux moi-même. De petits miracles, bien sûr, comparés à ceux que vous m’avez décrits. (Il marqua une pause ; Karal comprit qu’il choisissait ses mots.) La Déesse des Frères du Faucon et des Shin’a’in intervient parfois pour le bien de son peuple, alors pourquoi le Dieu du Soleil ne ferait-il pas pareil ?

Karal hocha la tête, dubitatif. Il n’était pas certain de souscrire à une comparaison entre Vkandis et une Déesse barbare… Mais si Rubrik l’avait vu accomplir des miracles…

Dans les anciennes chroniques, Vkandis était supposé avoir une Déesse-Consort, mais on l’avait évincé par la suite. Les prêtres de l’époque avaient-ils eu raison d’agir ainsi ?

Tout cela était terriblement déroutant.

— Une Déesse ? répondit-il. Quelle Déesse ? Rubrik secoua la tête en riant.

— Toutes ces histoires théologiques sont trop compliquées pour une âme simple comme moi ! Laissez-moi commander à dîner. Ensuite vous me raconterez ce qu’a fait Solaris après avoir reçu la Couronne, d’accord ?

Rubrik appela une serveuse. La jeune femme regarda Karal d’une manière qui le fit rougir… et regretter de partager une chambre avec son maître. Encore novice, il n’avait pas prononcé ses vœux, surtout pas celui de rester célibataire ou chaste…

Rubrik avait dû choisir un plat déjà prêt, car la fille revint aussitôt avec un plateau. L’estomac de Karal gargouilla quand des effluves de tourte à la viande vinrent lui chatouiller les narines. L’odeur ne lui sembla pas familière – rien ne l’était depuis son arrivée à Valdemar – mais même s’il n’avait pas eu si faim, il l’aurait trouvée appétissante.

Il se sentait prêt à avaler la tourte et la tourtière !

Rubrik commença à manger.

— Alors ? demanda-t-il, agitant sa fourchette.

— Après ce qui s’était passé, il n’était pas question de nommer un autre Fils du Soleil, répondit Karal avant d’enfourner une grosse bouchée de hachis et de croûte. (Il avala. C’était délicieux. Finalement, les épices n’étaient pas si différentes de celles qu’on utilisait chez lui.) Tous ceux qui auraient pu protester avaient assisté aux Miracles, et ils avaient peur d’en faire les frais. Solaris fut investie dans l’heure, en Robes Blanches – elle portait déjà une couronne – et les acolytes balayèrent les restes du Faux Fils avec les cendres du feu de l’année passée.

« Le lendemain, Solaris convoqua tout le monde. A l’avenir, déclara-t-elle, les devoirs des Robes Noires seraient les mêmes que ceux des Robes Rouges, même s’ils conservaient leur rang. Invoquer les démons devint un blasphème, et les textes qui enseignaient comment s’y prendre furent brûlés.

— Un bon début, même si je désapprouve qu’on brûle des livres, dit Rubrik. Détruire un objet qui peut encore faire le mal au lieu de consumer des innocents, voilà une belle façon de commencer son règne.

Karal acquiesça avec enthousiasme et avala deux bouchées avant de continuer.

— Solaris dit qu’elle avait des visions depuis des mois, et que ce qui s’était passé au Temple lui avait confirmé qu’il ne s’agissait pas de rêves de grandeur. Elle annonça que Vkandis lui avait révélé que les Ecrits et les Règles étaient des faux. Il ne s’agissait pas des textes d’origine.

— Je n’en attendais pas moins, dit Rubrik. Si elle voulait établir son autorité, elle devait tout mettre sens dessus dessous dès le premier jour.

Karal se mordit la langue pour ne pas lâcher une réponse qu’il aurait sans doute regrettée et se contenta de manger un moment en silence. Solaris n’était pas une politicienne. Elle comprenait la politique, mais uniquement par nécessité. Et quand elle n’allait pas dans le sens de ses projets, elle la contournait.

— Elle fit des changements dès la première semaine. Plus tard, Ulrich et moi découvrîmes dans les textes qu’il s’agissait seulement de la restauration des antiques us et coutumes. « Le Dieu du Soleil a toujours été le dieu de la vie, et non de la destruction », dit-elle. « Son Feu est le Feu qui donne la vie, celui du Soleil, pas les Feux qui dévorent la vie des enfants. » Elle mit fin aux Cérémonies de Purification telles que nous les connaissions. Et si la Fête des Enfants restait l’occasion de tester leur intelligence et leur magie, plus aucun ne devait être arraché à sa famille. Ils devaient venir au Temple de leur plein gré, avec le consentement de leurs parents.

Rubrik fronçant les sourcils, Karal précisa :

— Pour les familles nombreuses et sans grandes ressources, elle ordonna que le Temple subvienne à tous les besoins des enfants sélectionnés. Je dois admettre que j’ai été bien mieux nourri, vêtu et logé au Cloître que je ne l’aurais été chez mes parents. Et le travail y était également moins pénible. Aujourd’hui, les enfants pleurent quand ils ne sont pas acceptés…

— Ah, fit Rubrik, réprimant un sourire. Comme on dit ici, la carotte vaut mieux que le bâton.

— Précisément. (Karal termina sa tourte et but une longue gorgée de bière.) Solaris changea également les règles pour les enfants et les novices. Dorénavant, ils peuvent garder le contact avec leur famille et lui rendre visite deux fois par an, comme les recrues de l’Armée. Mais tout cela fait partie des changements qui sont en fait des restaurations des us et coutumes antiques.

— Les us et coutumes antiques…, répéta Rubrik. Comment les connaissait-elle ? Encore des visions ?

— Oh, non, pas du tout ! Elle a demandé à plusieurs de ses amis de chercher dans les archives.

— Ne me dites rien…, fit le Valdemarien. Un des endroits où elle passait le plus clair de son temps, c’était les archives ? Je sais que Solaris est une linguiste et une érudite, elle a donc pu déchiffrer les textes anciens. Et c’est comme ça qu’elle a découvert que les us et coutumes antiques n’étaient pas les mêmes que ceux décrits dans les… comment les appelez-vous, déjà ?

— Les Ecrits et les Règles, répondit Karal. J’ignore la réponse à votre question, mais est-ce si important ? Elle savait que les us et coutumes antiques étaient conservés dans les archives. Et tout ce que nous y avons trouvé a confirmé ses proclamations. Ulrich est un des anciens Robes Noires à qui elle a demandé de lire les archives. Etant son secrétaire, j’y ai travaillé avec lui.

La serveuse revint pour débarrasser les assiettes vides, remplir leurs chopes et leur apporter des fruits et du fromage. Rubrik attendit qu’elle s’éloigne en épluchant une pomme.

— Valdemar n’a jamais rien su de tout ça, déclara-t-il enfin. Nous avons seulement entendu dire qu’il y avait eu des bouleversements et que le nouveau dirigeant de Karse était une femme. Puis plus rien, pendant deux ans. (Il leva la tête et fronça les sourcils.) Y a-t-il un lien entre Solaris et la femme qui se faisait appeler le « Vrai Prophète de Vkandis », il y a dix ou quinze ans ? Celle qui décida que sa place était à la tête de votre armée et mena une politique de conquête ?

Karal secoua la tête.

— Non… En réalité, c’est à cause d’elle que la vraie Couronne de la Prophétie a disparu. Depuis, plus personne n’a revu le bijou ni la femme.

Inutile d’entrer dans les détails. Si Rubrik ignorait la partie de l’histoire de Solaris à laquelle sa compatriote Talia avait participé, il n’était pas si bien informé qu’il l’avait cru.

— J’imagine que les prêtres n’ont pas laissé Solaris n’en faire qu’à sa tête ?

Et comment ! pensa Karal. Mais Ulrich lui avait ordonné de ne pas aborder ce sujet. De nombreux prêtres s’étaient opposés aux Ecrits et aux Règles de Solaris, et à ses décrets. Et ils n’avaient pas été les seuls.

Beaucoup de gens approuvaient la corruption du système. Les nobles n’appréciaient pas que les prêtres se mêlent de certains domaines politiques. Des « arrangements » avaient été conclus entre les deux parties : les prêtres ignoraient certains… excès… des nobles, en échange de cadeaux « au Temple ».

Ces prêtres avaient été aussi corrompus que leurs complices.

Solaris avait mis un terme à ces magouilles, ainsi qu’à la traite d’esclaves et à un marché lucratif d’hallucinogènes divers. Fini les commerces ignobles sur lesquels les prêtres avaient choisi jusque-là de fermer les yeux !

Bien sûr, en agissant ainsi, elle ne s’était pas fait que des amis. Ni d’ailleurs en interdisant l’invocation des démons. Beaucoup de prêtres avaient perdu leur position et leur prestige – ils n’inspiraient plus la peur –, et ils lui en avaient tenu rigueur.

Certains frontaliers avaient réclamé le retour des invocateurs. Au moins, quand les démons parcouraient la campagne, la nuit, les bandits se terraient dans leurs cachettes et sévissaient le jour, quand il était plus facile de les combattre.

Et il y avait également ceux qui craignaient les Rethwellans, les Valdemariens et les Hardorniens, et voulaient qu’ils soient tenus à distance…

Les deux années après le Miracle n’avaient pas été faciles. Solaris avait dû livrer une bataille silencieuse contre beaucoup d’ennemis. Mais Karal n’en souffla mot à Rubrik. Si les espions valdemariens n’étaient pas assez compétents pour en avoir informé leur reine, tant pis. S’ils l’étaient, et que personne n’avait pensé à mettre leur guide dans la confidence, ce n’était pas son problème.

— Après qu’Ancar eut usurpé le trône de son père, il a pensé que Karse serait une proie facile, n’est-ce pas ?

Rubrik avait dû deviner sa réticence. Rusé, il relançait la conversation avec un sujet plus anodin.

Karal haussa les épaules.

— J’imagine. Je ne connais pas d’Hardorniens. Ceux qui ont fui leur pays se sont réfugiés à Valdemar. Je crois qu’ils n’ont pas voulu tenter leur chance contre les démons – comment auraient-ils su qu’il n’y en avait plus ? Tout ce que je sais, c’est que soudain, une armée était prête à nous écraser. Solaris avait nommé des généraux de génie, mais qu’auraient-ils pu faire contre… Les soldats d’Ancar ne semblaient pas… humains.

— Ils ne l’étaient plus vraiment, confirma Rubrik.

Son expression indiqua à Karal qu’il n’avait pas l’intention de s’étendre sur la question. Parfait… Ils avaient chacun des sujets qu’ils ne devaient pas aborder.

— Vous connaissez la suite, dit Karal. Solaris se retira dans la Tour du Soleil et en redescendit avec un décret sorti de la bouche de Vkandis en personne.

— Faire la paix avec Valdemar.

C’était une affirmation, pas une question, mais Karal acquiesça quand même.

Si la situation n’avait pas été si désespérée, ç’aurait été la fin de Solaris. Mais les soldats et les mages d’Ancar commettaient tant d’atrocités que même ses plus farouches opposants approuvèrent.

Il ne restait plus une famille dans Karse qui n’ait pas été touchée. Les tortures et les rapines étaient les moindres exactions des hommes d’Ancar…

Rubrik secoua la tête, plein de sympathie.

— Vous savez, quand votre messager est arrivé et que nous avons été enfin convaincus que Solaris pensait ce qu’elle disait, certains d’entre nous ont cru que le monde s’était arrêté de tourner. Faire la paix avec Karse ? Sans doute l’idée la plus folle de tous les temps. Et la plupart des gens ont été convaincus que cela ne durerait pas.

Quelque chose dans le regard de Rubrik apprit à Karal qu’il avait été de ceux-là.

— J’imagine que les vôtres n’ont pas sauté de joie à cette idée, et surtout pas les membres de la Garde.

— Quand vos Prêtres-Mages sont venus nous aider à contenir les armées d’Ancar, dans le nord, cela a fini de convaincre les plus sceptiques que vous étiez prêts à tenir parole. A ce moment, la population a commencé à accepter la situation – plus ou moins à contrecœur. Mais il y a encore des gens qui ne s’y sont pas faits. Tant de choses ont changé, si vite, à Valdemar et en dehors, que la moitié de la population du royaume ne sait plus très bien où elle en est.

Karal soupira, puis se surprit à bâiller. Etait-il donc si tard ?

— On peut dire la même chose de la population karsite, répondit-il. Deux catégories mises à part…

Rubrik leva un sourcil interrogateur.

— Ceux qui soutiennent Solaris, comme Ulrich, parce qu’elle est le Fils du Soleil, désignée par Vkandis en personne. Et ceux qui sont trop jeunes pour avoir combattu Valdemar et n’ont pas de griefs contre ce royaume. Quand on est jeune, le monde est neuf chaque jour.

— Ah. (Le Valdemarien réfléchit – notant peut-être que Karal n’avait pas précisé à quelle catégorie il appartenait –, puis il s’étira.) Sur cette note optimiste, je suggère d’aller nous coucher.

Optimiste ? Oui, je suppose – si on considère qu’un jour ou l’autre tous les vieux auront disparu. Alors, il ne restera plus que les jeunes générations, qui n’auront pas connu la guerre.

— Bonne idée, acquiesça Karal. Et pardonnez-moi de souhaiter que le mauvais temps dure au moins jusqu’à ce que le soleil soit bien au-dessus de l’horizon.

— Je ne vous promets rien. S’il s’agit d’un orage magique, il ne durera pas jusqu’à minuit.

Karal soupira et se leva.

Ulrich ne dormait pas. Karal lui rapporta la conversation qu’il avait eue avec leur guide. En bon secrétaire, il avait appris à tout mémoriser, car la situation ne se prêtait pas toujours à la prise de notes. Le prêtre l’écouta, puis hocha la tête, approbateur.

— Tu t’es bien débrouillé. D’abord, tu ne lui as rien dit qu’il ne doive pas savoir. Et puisque tu as assisté aux Miracles, il se peut qu’il les raconte à ses supérieurs comme des faits, pas des ouï-dire.

Karal s’étira et grimaça.

— Maître… Bien que j’apprécie la compagnie de cet homme, je préférerais affronter une armée que d’avoir une autre conversation de ce genre avec lui. Il est si… subtil. S’il l’avait voulu, je suis sûr qu’il aurait pu me faire parler. Il espérait me voir seul à seul, pour me questionner. Et il sait désormais tout ce que Valdemar doit savoir. Mais si je devais me retrouver dans la même situation, je pourrais laisser échapper une information… ou dire une chose qu’il risquerait de mal interpréter.

Ulrich prit le temps de réfléchir.

— Tu as raison, dit-il enfin. Ce n’est sans doute pas une coïncidence qu’il t’ait posé ces questions alors que je n’étais pas là. Il faudra que je participe à la prochaine conversation de ce style…

Karal soupira de soulagement. Il s’était tellement concentré pour dire la vérité, mais pas l’entière vérité, qu’il ne s’était pas aperçu de sa tension. Avant de dormir, il allait devoir recourir à tous les exercices de relaxation qu’il connaissait !

Rubrik était vraiment subtil. Inconsciemment, Karal y avait réagi. Parmi les prêtres, « subtil » était synonyme de « dangereux ».

Surtout, ça signifiait que la personne ne devait pas être sous-estimée.

Karal se coucha et moucha la chandelle.

Il fallait espérer que dans ce cas, « subtil » ne signifiait pas également « traître ».

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